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Article écrit par Flavie Widmaier, le 29 mars 2020

Le concept de « dumb city » : les enseignements de la « ville bête »

En ce début de XXIème siècle, la capacité de l’Homme à modifier son environnement est telle qu’il est considéré comme une force géologique à lui-seul. Le rôle que notre espèce joue dans le fonctionnement du système planétaire a amené la communauté scientifique à définir une nouvelle ère géologique, nommée, Anthropocène et signifiant littéralement « l’Ere de l’Humain ».

Déforestation massive, déviation des cours d’eau, artificialisation et imperméabilisation des sols par le biais de l’agriculture et de l’urbanisation, ainsi se caractérise cette ère.

Dans le but d’inverser la tendance et de concilier impact écologique et développement technique, scientifique, social et économique de nos sociétés, les villes se redessinent. L’enjeu est double : 1) réduire l’impact de l’urbanisation sur le système Terre ; 2) permettre à l’Homme moderne de garder une qualité de vie acceptable. Les grands acteurs technologiques s’emparent du sujet et favorisent l’émergence d’un concept de développement urbain, les « smart city ». La CNIL en donne la définition suivante :

« La ville intelligente [a pour but] d’améliorer la qualité de vie des citadins en rendant la ville plus adaptative et efficace, à l’aide de nouvelles technologies qui s’appuient sur un écosystème d’objets et de services […]. »

Vivre dans ces villes est agréable… Les services et équipements sont connectés et munis de capteurs permettant la détection de la moindre anomalie. Les données sont collectées et réutilisées pour optimiser les déplacements des habitants, le chauffage ou la climatisation des infrastructures, la distribution et la consommation d’énergie, la qualité de l’air. Voiture autonome, piste cyclable dégivrée, poubelle intelligente, route modulable, consommation monitorée… Attendez, ces villes permettent-elles vraiment de répondre de manière globale aux enjeux climatiques actuels ? Outre les problèmes liés à l’utilisation massive des données collectées et à l’obsolescence du dispositif électronique, ce concept est critiqué pour sa vision réductionniste et court-termiste des enjeux. Le projet hors-sol de Sidewalk Labs, petite sœur de Google, dans le quartier en friche de Toronto au Canada en est un exemple.

Un concept ésotérique et n’existant pour l’instant qu’à l’état fragmentaire dans le monde a le mérite d’être davantage en adéquation avec les enjeux environnementaux. Ce dernier répond au nom de « Dumb City(2) ». Ce concept fait appel à différents savoirs, modes de gouvernance, techniques aussi bien ancestraux que modernes. Biomimétisme, Low-Tech, Interopérabilité, Modularité, Permaculture, Ecoconstruction, Gouvernance des biens communes, Economie sociale et solidaire, Economie symbiotique, Economie collaborative. Tant de mots qui visent le même objectif : réintégrer l’Homme et son organisation dans les cycles naturels de la Terre.

Prenons quelques exemples et essayons de conceptualiser ce que pourrait être une telle ville : A Harare, au Zimbabwe, un architecte s’est inspiré du fonctionnement des termitières et de savoirs locaux pour concevoir un centre commercial. Des matériaux à forte inertie sont mis en jeux sur les faces exposées au soleil et une protection solaire vient compléter la structure pour réduire le rayonnement direct. Pour le renouvellement et le rafraichissement de l’air, une circulation se fait entre les parties basses et froides du bâtiment et les parties hautes où se trouve également l’évacuation de cet air.

A gauche : Termitière dont la face la plus fine est orientée Sud A droite : Circulation de l’air à travers 1. La cave, 2. La chambre à air supérieure et 3. Les conduits (Conception Bioclimatique, Terre Vivante)

Intérieur de l’Eastgate building à Harare (The Guardian)

En Chine des architectes ont imaginé des parcs « éponge » où l’eau est stockée et évacuée par infiltration pendant les moussons. Cela contribue à la création de zone humide en centre-ville, à la fois bastion de biodiversité et stratégie de rafraichissement. Plus près à Copenhague certaines digues ont été remplacées par d’énormes jardins ayant le même objectif ; une gestion plus efficace de l’eau.

A Wuhan, Xinyuexie Park (The Guardian)

Des systèmes d’assainissement des eaux usées alternatifs permettraient de traiter les eaux noires et grises de manière locale en centre-ville grâce à une association de plantes (jonc, iris, nénuphar, …) et un système de drainage nécessitant entre 0.5 et 1.5 m² de surface par habitants. (Effondrement, résilience et économie symbiotique, Isabelle Delannoy, TEDx, ADEME)

Une végétalisation des toitures dans les villes permettrait d’amener de la biodiversité, favoriser les initiatives d’agriculture urbaine, lutter contre les îlots de chaleur et améliorer les performances thermiques et phoniques des bâtiments comme c’est le cas à Bâle en suisse (Isabelle Delannoy, TEDx, ADEME).

Les peuples originels de certaines régions du monde sont sources d’inspiration lorsqu’il est question de mode de vie appelé alternatif : Les Khasi en Inde construisent des ponts à partir de racines d’arbres vivants pour passer d’une rive à l’autre pendant les saisons des moussons. Une technique bien plus rudimentaire que celle utilisée par nos sociétés modernes mais qui reste moins dispendieuse économiquement et environnementalement. Le peuple des Ma’dan, en Irak, tissent des bâtiments flottants, très résistants, en roseaux qui leur permettent de se déplacer sur l’eau pendant la saison des moussons. Julia Watson retrace dans son livre « Lo-Tek » des techniques vieilles de plusieurs millénaires capables d’associer développement de nos sociétés et impact environnemental minime.

Livre décrivant des techniques constructives ancestrales, durables, résilientes et biomimétiques 

Dans les villes bêtes « le tout est plus que la somme de parties prises de manière individuelles » et ce tout fournit des services écosystémiques majeurs tout en fournissant à l’Homme une qualité de vie efficiente… Et tout ça sans capteurs.

Qu’attend l’Homme pour construire des villes un peu plus bêtes ?


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